Quelle époque.

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Richard de l'Aulagnier
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Quelle époque.

Message non lu par Richard de l'Aulagnier »

Monsieur SEGUIN

Monsieur Seguin contemplait tristement la lisière des alpages embrasés par le soleil couchant. Assis sur son banc de pierre, il retardait ce moment où il se retrouverait seul devant son bol de soupe, le dos tourné à l'âtre de son immense cheminée. Il ne poserait plus de foin au bout de la table en bois brut. Sa chevrette ne viendrait plus enfuir son museau humide dans ses mains calleuses pour y dévorer le dernier grain d'avoine.
Mon dieu qu'elle était belle sa chevrette ! Il expira un long soupir et tenta de chasser ce nœud qui lui pesait sous le plexus solaire.
Allons bon, il n'était pas une fillette. 30 ans à barouder le monde, à parcourir tous les continents. Voilà maintenant 10 ans qu'il avait quitté ses camarades de combats pour se retirer dans le Lubéron.
Bien sûr il en avait eu d'autres des chevrettes, de tous poils, plus ou moins grandes, plus ou moins dociles. Il avait même eu une chamelle quand il s'occupait de l'intendance de la cantine lors de son 3 ème séjour au Tchad. Mais elle, elle...
Il la revoyait nettement, gambader, mutine, dans son petit enclos. Ses longs poils blancs étaient comme une chevelure de neige dans l'herbe grasse de son pâturage. Ses longs cils masquaient l'or brun de son regard. Ses cornes, délicatement recourbés, faites pour que ses paumes puissent les empoigner fermement...Sa queue, frétillante, comme celle d'un lapin sauvage...Et puis, et puis, son odeur, ce parfum sauvage d'herbes séchées, de terre, de lait. Il en percevait encore les effluves.

Non non et non !!! Ça ne se passerait pas comme cela. Il l'avait prévenue pourtant cette jeune idiote. Des loups il en avait mater plus d'un. Il se leva d'un coup, la décision s'imposait à lui. Il était le loup ds loup. Le prédateur c'était lui. Le loup n'était qu'un crapahuteur de moquette...Un mignon parfumé... Il avait gouté la chair de sa chevrette, il aurait sa peau...
Il enfila son ceinturon de toile auquel pendait toujours son poignard « Camulus ». Il décrocha son M16, ramené frauduleusement d'Afghanistan, vérifia son fonctionnement, introduisit une balle dans la chambre. Les gestes étaient instinctifs, rassurants. Il mis quelques munitions dans les poches latérales de son treillis, là où sa blanche chevrette plaçait docilement ses pattes arrières...

Il noua ses longs cheveux grisonnants avec un chouchou noir. C'était fini ce temps où il n'avait pas un poil sur le cailloux. Il contempla le chemin qu' il devrait emprunter pour pister ce loup. Il construisait mentalement sa chasse en caressant son bouc. Lui aussi avait de longs cils. Mais ceux-ci cachaient un regard sombre, avec des reflets jaunes.
Après plusieurs minutes de réflexion, il savait maintenant comment intercepter la bête. Et se venger.

Dans l'air du soir, sa foulée était régulière, souple, et silencieuse. Ses narines frémissantes s'imprégnaient du fenouil, du serpolet, de l'immortel. Il contourna d'assez loin ce passage entre les rochers où il voulait surprendre la bête. Prenant soin d'être sous le vent, il confectionna un piège rudimentaire qui lui permettrait de savourer les derniers instants du loup. Cette chasse était follement excitante. Il se cala dans l'ombre et attendit.

La nuit s'était installée. La lune découpait des silhouettes mouvantes contre la roche dans la brise d'été. Inconscients de l'homme qui se tenait immobile à proximité, les rongeurs se déplaçaient en courses saccadées entre cailloux et feuilles déchées. Les grillons tentaient de monopoliser le bruissement nocturne et au sommet d'un pin parasol solitaire, une chouette annonçait dans un chaud hululement sa quête de sang.

Le loup avançait prudemment. Il avait pourtant l'esprit encore monopolisé par sa dernière conquête. Il ne lui avait pas été difficile d'attirer cette chevrette innocente sur son territoire. Elle rêvait de liberté, du parfum sauvage des alpages, elle se voyait la princesse d'un bad boy. Elle était arrivée parée de fleurs des champs, ses poils à peine ébouriffée par son passage dans l'eau glaciale du torrent. Il l'avait écouté bêler naïvement, se plaindre du confort moderne de sa chaumière, et quand elle avait minaudé « dévore moi »... il ne s'était pas fait prier...

La bête s'engagea dans l'étroit sentier entre les rochers et quand le vacarme d'un éboulement derrière lui le surprit, il bondit en avant dans un réflexe désespéré.
Quelle erreur... il se prit la tête dans un collet. Un collet pour lui, le chasseur. La corde se tendait autour de son cou et l'élasticité des branches auxquelles elle était accrochée le contraignait à n'être en appui que sur ses pattes arrières. S'il fléchissait, il mourrait étranglé. Une terreur indicible prit possession de lui et le glaça. De l'ombre se détacha la silhouette d'un homme et la lune révéla autant blancheur de son sourire que les flammes de son regard.

Monsieur Seguin était heureux.
« Bonjour le Loup. Je suis monsieur Seguin et tu as pris ma chevrette. Ma douce et chaude chevrette. Elle était heureuse avec moi. Je ne lui demandais pas grand chose. Et toi tu as posé ta gueule baveuse sur son coup délicat, sa croupe callipyge. Tu l'as détournée de son enclos, de ma maison. Alors tu vas payer. Je vais te tuer doucement, car ton crime est impardonnable. As tu quelque chose à me dire avant que je ne te découpe au clair de lune ?

Le loup était incapable d'un mouvement. Son corps frissonnait de tremblements incontrôlés.
Sa voix autrefois grave déraillait, variait dans les aigus
« mais... ».

« quoi mais ? » dit monsieur Seguin en s'approchant du Loup et en glissant une main sous son poitrail alors que la seconde armée du poignard s'approchait du cou de la bête.

« mais, mais...pleura le loup »

« Mêêêê ? Tu parles comme ma chevrette...dis l'homme en enfouissant ses mains dans la fourrure du Loup. »

« Mais, mais.... » Sentant sa fin approcher, le loup s'abandonna à l'étreinte de l'homme, percevant le souffle chaud de son haleine dans son cou. Son esprit incapable d'un raisonnement cohérent ne comprit pas pourquoi l'homme le soulevait et glissait chacune de ses pattes arrières dans les poches latérales du pantalon de son treillis.

« tu bêles comme ma chevrette, et tes poils sont doux. J'aime ton odeur musquée lui dit monsieur Seguin. On va être bien ensemble....

Ce soir là, ce ne fut pas la vive douleur du poignard que ressentit le loup des alpages sous les yeux médusés d'une chouette, de rongeurs et de grillons finalement silencieux.

Depuis, les randonneurs passant près de la chaumière d'un homme un peu rustre, sont surpris de voir un loup docile se cambrer doucement sous la main caressante de monsieur Seguin.
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Lippo
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Re: Quelle époque.

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Tu sais, l'amour entre mammifères du même sexe c'est plutôt courant de nos jours ! :hehe:
Avant notre venue rien ne manquait au monde.
Après notre départ rien ne lui manquera.

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Richard de l'Aulagnier
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Re: Quelle époque.

Message non lu par Richard de l'Aulagnier »

T'as pensé à la différence d'âge? :nono:
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Francesco
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Re: Quelle époque.

Message non lu par Francesco »

Je suis profondément choqué.


"Des loups il en avait mater plus d'un" : maté doit finir par un "é", et non par "er".
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Richard de l'Aulagnier
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Re: Quelle époque.

Message non lu par Richard de l'Aulagnier »

Hé oui, c'est triste une fin de civilisation. :/
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Lippo
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Re: Quelle époque.

Message non lu par Lippo »

Francesco a écrit :Je suis profondément choquer.
.

(choquer: action de détendre, de creuser une voile en larguant un cordage)

Un coup de mou et une perte de raideur, à ton âge ce n'est pas une catastrophe pour un mec déjà pas mal largué... ! :mrgreen:
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Après notre départ rien ne lui manquera.

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Richard de l'Aulagnier
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Re: Quelle époque.

Message non lu par Richard de l'Aulagnier »

Largué?
Je ma marre (matué)
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Richard de l'Aulagnier
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Re: Quelle époque.

Message non lu par Richard de l'Aulagnier »

Si tous les prophètes portaient la barbe, on vénérerait les chèvres.
Monsieur Seguin
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